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13 novembre 2009 5 13 /11 /novembre /2009 00:20


« Je plaide pour une présidence forte », dit Jean- Marie Bockel. « Blair au Conseil en même temps que Barroso à la Commission, ce serait un lapsus historique », lui répond Jean-Louis Bourlanges.


L
e Figaro Magazine - Vous avez envisagé avec intérêt la possible candidature de Tony Blair à la présidence du Conseil européen. Il n'en est quasiment plus question aujourd'hui. Comment percevez-vous ce retournement de situation ?


Jean-Marie Bockel
 - Ce n'est pas en qualité de membre du gouvernement que je m'exprimerai sur ce sujet, mais en tant que président de la Gauche moderne, parti d'ouverture au sein de la majorité. Cela étant clairement précisé, mon blairisme ancien me donne en effet beaucoup de sympathie pour une candi dature dont j'ai compris qu'elle n'est plus guère d'actualité. Sans doute Blair a-t-il quelques handicaps : son engagement en faveur de la guerre en Irak en 2003 ou son libéralisme post-thatchérien, mais il a aussi été le plus européen des Britanniques, par exemple en ne commettant pas l'erreur d'un référendum sur l'euro, qu'il aurait perdu. Au-delà de sa personnalité se pose la question de la qualité même de la présidence de l'Europe.
Quatre fonctions doivent trouver leur équilibre : la présidence du Conseil, la présidence tournante des chefs d'Etat ou de gouvernement, la nouvelle fonction de haut-représentant pour les Affaires étrangères et la présidence de la Commission. C'est pourquoi je continue à plaider pour une présidence forte qui servirait de repère, de point de rassemblement pour une Europe en devenir, confrontée à la crise et aux enjeux mondiaux. Tony Blair, à l'évidence, l'aurait bien incarnée...


Jean-Louis Bourlanges
 - Il a pour qualité fondamentale d'être un véritable homme du centre, conciliant la confiance dans l'économie de marché et un souci de correction sociale. Il est doté d'un immense talent : au Parlement européen où l'on avait applaudi Jean-Claude Juncker dans une dénonciation assez vive du comportement britannique, je l'ai vu retourner l'hémicycle et partir lui-même sous les ovations. Mais imaginez-le à la présidence du Conseil avec Barroso à la Commission, deux personnalités qui ont voté pour la guerre d'Irak alors que les Etats-Unis ont élu un Président qui a voté contre. Un tel lapsus historique serait assez préoccupant...

Blair représente un pays qui a fait le choix systématique de la dérégulation, notamment en matière financière, modèle qui a pris du plomb dans l'aile avec la crise. Le Royaume-Uni a, par ailleurs, systématiquement choisi ce que l'on appelle dans le jargon communautaire des opting out. Il n'accepte ni Schengen, ni la monnaie unique, ni la charte des droits fondamentaux, tout en manifestant une très grande capacité à occuper des positions de pouvoir à Bruxelles.

Ce n'est cependant pas pour toutes ces bonnes raisons que les 27 s'apprêtent à refuser Blair, mais parce qu'il a une personnalité trop brillante, trop forte. On aura donc des profils moins ambitieux et beaucoup moins ciselés. Imaginez que lors de la crise du Caucase nous ayons eu un président du Conseil parallèlement à Nicolas Sarkozy. Qui aurait représenté l'Europe ? Contrairement à une idée reçue, le traité de Lisbonne ne simplifie pas la donne, il la complique. Le poste important me semble en fait être celui de haut-représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, le président du Conseil européen risquant de n'avoir d'autre pouvoir que celui d'« ouvrir la séance et de la fermer ».


Jean-Marie Bockel
 - Cela me rappelle la célèbre phrase de Kissinger : «Quand je prends mon téléphone pour appeler l'Europe, qui ai-je au bout du fil ?»


Jean-Louis Bourlanges
 - En fait, on lui offre un standard téléphonique...


Jean-Marie Bockel
 - Face aux enjeux planétaires comme Copenhague en décembre prochain, et l'après-Copenhague, la ligne de téléphone unique est importante. A côté d'un président que j'espère fort, il est bon également que le haut-représentant pour les Affaires étrangères soit un ou une socialiste, comme cela se discute actuellement. Que la gauche européenne - que je considère comme moderne, à l'exception de la française - puisse se retrouver avec un ministre constituerait un utile complément à la réussite de cette démarche. L'image de la triangulation restera d'actualité. Blair l'a incarnée en son temps, de même que Clinton.
On n'est pas d'abord libéral ou social-libéral, mais issu d'une réalité nationale face à un monde en pleine mutation. Les réponses aux enjeux planétaires existent aussi ailleurs, chez ceux qui pensent différemment. Ces allers-retours idéologiques pour constituer une pensée en actions, Blair les a opérés en Grande-Breta gne, tout comme Nicolas Sarkozy en France, avec l'ouverture. Mais c'est un autre sujet...


Jean-Louis Bourlanges
 - Un mot sur Jean-Claude Juncker dont la candidature, comme celle de Blair, semble de moins en moins à l'ordre du jour : la quali té fondamentale d'un Luxembourgeois est d'être en stéréophonie franco-allemande, de comprendre les deux cultures. Dans ce cas d'espèce, Juncker est en mauvais termes avec Nicolas Sarkozy et très critique vis-à-vis d'Angela Merkel. Il y a donc un problème.


Jean-Marie Bockel
 - L'Europe d'aujourd'hui ne se fera pas sur la seule relation franco-allemande, comme j'ai pu le penser à une certaine époque, mais elle ne progressera pas non plus sans ce lien essentiel.


Jean-Louis Bourlanges
 - Ce sont toujours les Français et les Allemands qui donnent le la. «Si l'on a fait l'euro, raconte Jean-Claude Trichet, c'est parce que les Allemands et les Français ont affirmé que s'il devait n'en rester que deux, ils seraient ces deux-là.» La monnaie franco-allemande apparaissant incontournable, tout le monde s'est écrié comme dans la chanson de Jacques Dutronc : «Et moi ! Et moi ! Et moi !» Or actuellement je sens mal l'articulation entre la construction européenne et le franco-allemand. La France pratique une politique budgétaire plus laxiste que l'Allemagne, même si cette dernière semble relâcher un peu les cordons de la bourse, en dépit de la modification de sa loi fondamentale proscrivant les déficits budgétaires à l'horizon de 2016 et 2020.


Jean-Marie Bockel
 - Ne s'agit-il pas tout simplement d'un décalage dans le temps ? Au moment où la crise est arrivée, nous enregistrions un certain retard par rapport au déficit, à la modernisation du pays, au soutien industriel, c'est pourquoi il y eut quelques désaccords sur le plan de relance entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy dans la première période. Par la suite, la crise s'approfondissant, la position allemande s'est rapprochée des intuitions françaises. La France ne résiste pas trop mal, que ce soit pour l'amortisseur social ou en matière de chômage. J'observe donc aujourd'hui plus de convergences que de divergences entre nos deux pays.


Jean-Louis Bourlanges
 - Reste que les Alle mands peuvent se permettre de faire 24 mil liards de réductions d'impôt, parce qu'ils sont dans une situation de déficit structurel très sensiblement moindre que la nôtre. Nous, nous sommes adossés à un quart de siècle de politique budgé taire laxiste, et à la relance à con tretemps du plan Tepa.


Le Figaro Magazine - Est-ce l'axe franco-allemand qui déterminera la présidence européenne ?

Jean-Marie Bockel - Le moteur franco-allemand pouvant malgré tout amener à des impasses psychologiques, il nous faut plusieurs fers au feu en comptant avec le partenaire britannique. Le président français ne perd pas de vue cet aspect, et les Allemands le savent...


Jean-Louis Bourlanges
 - Sans doute, mais il ne faut pas non plus se dissimuler que le très relatif dynamisme franco-allemand risque désormais de se heurter à un regain d'inertie britannique, relayée par un certain nombre d'eurosceptiques au sein de l'Union. Les Français et les Allemands détiennent un pouvoir essentiel à condition de s'avancer tous feux éteints, sans mettre les autres devant le fait accompli. La bonne technique était celle de Delors. Lorsqu'il voulait faire passer quelque chose, il téléphonait à Kohl et à Mitterrand. Quand il sentait que cela marchait, il allait voir les Belges et les Luxembourgeois, puis se taisait. Un Belge, un Luxembourgeois ou un Néerlandais reprenait la proposition à son compte, et tout le monde s'y agrégeait 

Débat  Bockel - Bourlanges
animé par Patrice de Meritens, Le Figaro magazine
 

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