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17 janvier 2011 1 17 /01 /janvier /2011 00:00

Troisième jour d'audience. C'était au tour des plaidoiries et du réquisitoire du parquet. L'occasion de voir trois façons de regarder cette affaire, trois points de vue qui ne profitent pas aux même parties.



rois débats pour le prix d'un. Ce vendredi 14 janvier, troisième jour du procès Zemmour,était l'occasion de voir la complexité de cette affaire. Cette après-midi (et début de soirée) était consacrée aux plaidoiries des avocats et au réquisitoire du parquet. Un grand moment de justice comme on les aime, où les avocats de part et d'autre ont pu montrer leur grande éloquence. Et accessoirement, leurs arguments.

C'est Me Patrick Klugman qui a ouvert le bal pour SOS Racisme. Il a d'abord montré l'importance du volet médiatique de l'affaire. Car Eric Zemmour est un des chroniqueurs les plus médiatisés de France, pour le meilleur et pour le pire. L'avocat a reconnu son « importance sur la scène médiatique française ». Il a demandé : « qu'est-ce qu'il fait de toutes ces places où toute la France l'entend »  Pour appuyer sa thèse, il a cité la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme qui a souligné le fort impact que peu avoir le « canal hertzien » sur le public et donc la prudence qui incombait à ceux qui s'y expriment. « Le canal hertzien, c'est un bien commun, on ne peut s'en servir pour dire des insanités », a lancé Patrick Klugman. 

Cette question médiatique sera aussi abordée par Me Olivier Pardo, avocat d'Eric Zemmour, dans sa plaidoirie. Comme durant les jours précédents, il a pointé le contexte particulier des émissions où le prévenu s'exprimait. « La télévision s'est totalement transformée, on a maintenant de "l'infotainement" (...) Ce qui compte, c'est le spectacle », a expliqué Me Olivier Pardo. L'avocat en a donc appelé au tribunal  : « Dans un débat télévisé, la jurisprudence autorise à être péremptoire ». Olivier Pardo a aussi insisté sur la liberté de la presse : « Ce n'est pas aux associations de dire à un journaliste ce qu'il peut dire ».

On peut alors se demander ce que Zemmour va faire dans des émissions où on peut facilement se faire piéger. « La procureure dit qu'il n'avait qu'à pas y aller (chez Ardisson, ndlr), mais il va là où des gens le regardent », a répondu Me Pardo. Mais à trop chercher une tribune, Zemmour finira (si ce n'est pas encore le cas) par s'enfermer dans son rôle de réac de service. Il pourra toujours clamer que le contexte de telle émission est particulier, on lui répondra que personne ne le force à y aller.

DIFFAMATION ?
Mais n'oublions pas que nous sommes dans un procès. Les avocats ont aussi des arguments juridiques. Et là encore, Zemmour a failli. Mais pas sur le point qu'on le croit. En réalité, Zemmour est poursuivi pour deux phrases. D'une part, pour ses déclarations sur les origines des trafiquants sous le chef d'accusation de « diffamation raciale », d'autre part, pour avoir répondu « Ils ont le droit » à un intervenant qui dénonçait les employeurs discriminant à l'embauche les personnes d'origine étrangère lors d'une émission sur France Ô. Ce qui constitue une « provocation à la discrimination » raciale pour ses opposants.

Sur les premiers propos, c'est sur la constitution du délit de diffamation que se sont opposées les parties. Pour Patrick Klugman, Eric Zemmour a défini « une population comme criminogène en raison de ses origines ». L'avocat de SOS Racisme, a ensuite pointé « l'animosité personnelle» (qui caractérise la diffamation en droit ) de Zemmour envers les populations d'origine étrangère rappelant notamment les propos tenus par l'intéressé en novembre 2009 sur Arte : «Je suis de race blanche, vous êtes de race noire, c'est une évidence».

De son côté, Me Olivier Pardo a prôné une stricte interprétation de la loi. Il a d'abord souligné que la diffamation à caractère racial est définie par « l'imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur » d'un groupe en raison de ses origines. Or, pour l'avocat, Zemmour n'impute aucun fait aux Noirs et aux Arabes. Me Pardo a rétorqué que « le sujet de la phrase est "les trafiquants"  » soulignant que Zemmour n'a « jamais dit  : "la plupart des Noirs et les Arabes sont des trafiquants" ». Sur l'animosité personnelle, il a rappelé que le chroniqueur n'a jamais été poursuivi ou condamné pour des faits de racisme auparavant.

FAILLE JURIDIQUE POUR ZEMMOUR
Sur les seconds propos incriminés concernant les discriminations, le chroniqueur semblait plus en difficulté. D'ailleurs, comme un aveu de faiblesse, Me Olivier Pardo n'a abordé ce point qu'en seconde partie de sa (longue) plaidoirie et durant nettement moins de temps. Il a argué qu'il ne peut y avoir de provocation au non-respect de la loi dans ce cas. Pour lui, « le provocateur, c'est celui qui dit : "même si c'est la loi qui dit que non, ils ont le droit" », citant l'exemple des faucheurs d'OGM. L'avocat a aussi rappelé que lorsque l'animateur de France Ô a dit que la loi interdisait les discriminations raciales, Zemmour n'a pas protesté. 

Me Pardo a, en revanche, abandonné l'axe précédent de défense du chroniqueur. Il avait affirmé, à plusieurs reprises à l'audience, qu'il ne connaissait pas la loi sur ce point. Soit, mais nul ne peut ignorer la loi. Un vieil adage juridique donc son avocat s'est sans doute souvenu avant de plaider.

Pour SOS Racisme, le délit est donc constitué : « Il n'est pas nécessaire que la provocation soit directe », a avancé Me Michael Ghnassia, le deuxième avocat de l'association, ni même « nécessaire qu'elle soit suivie d'effets ». La Licra, de son côté, a noté que Zemmour a employé le présent et non le conditionnel, une phrase qui aurait pu être prise comme une simple opinion et non comme une affirmation. La Licra a aussi rappelé que Zemmour avait affirmé que l'expression « Ils ont le droit » faisait référence à une « discussion précédente ». « A quelle phrase ? », a pertinemment demandé l'association. Me Pierre Mairat, avocat du Mrap, notera la même faille : « Même en regardant 50 millions de fois la vidéo, c'est incontestable ».

Dans son réquisitoire, la procureur a demandé la condamnation d'Eric Zemmour pour ces deux points sans proposer de peine précise. Pour ses propos sur les trafiquants, elle a en revanche demandé sa relaxe pour l'accusation de « provocation à la haine raciale » (supplémentaire à celle de diffamation). « Je ne crois pas que ces propos, fussent-ils excessifs, puissent pousser à rejeter ces personnes ou à des actes de violence », a-t-elle argumenté. Mais seule l'UEJF avait retenu cette qualification pénale contre Eric Zemmour, les autres associations s'étant limitées à des accusations de « diffamation raciale » et « provocation à la discrimination ».

PROCÈS POLITIQUE
Mais ce procès fut « évidemment politique ». Comme l'a dit Me Olivier Pardo qui y a vu un procès opposant « deux conceptions de la société française ». L'avocat a mis en parallèle « une société qui accueille en reconnaissant les différences et les communautés » et une autre avec une conception « assimilationniste ». Il a fustigé ces adversaires refusant de voir une « réalité » (concernant les causes de la délinquance), une « réalité qui constate l'échec de ces associations, en particulier SOS Racisme, dans leur objectif d'intégration ». Revenant sur l'emploi des mots « Noirs » et « Arabes », il a craint de voir « une extrême-droite qui se régalera de voir nos petits débats pour savoir s'il faut dire "Noir" ou "issu de l'immigration" ». 

D'ailleurs, les soutiens d'Eric Zemmour ne se sont pas trompés sur le vrai caractère du procès. A la fin de sa plaidoirie, Me Pardo a été vivement applaudi par la salle, rappelé à l'ordre par la président du tribunal. A sa sortie, Eric Zemmour a été applaudi par des jeunes militants de l'UNI, mouvement universitaire classé à droite. Des militants de Riposte Laïque étaient également présents.

En face, ses adversaires ont aussi souligné (sans forcément le dire) la portée politique de l'affaire. « Est-ce qu'on a encore le droit d'attaquer le racisme même quand cela ne concerne pas un néo-nazi ? », s'est demandé Me Klugman pour SOS Racisme. Me Pierre Mairat, pour le Mrap, a jugé que Zemmour « fait reculer le combat anti-raciste » avec ses propos. La Licra a, elle, a démenti toute volonté de censure. Elle « ne demande pas de faire taire Eric Zemmour mais de rappeler les limites de la liberté d'expression et "les limites, c'est la loi" ». « Nous n'avons rien à envier à la société américaine où on peut tout dire (...) on voit les dégâts dupremier amendement », a-t-elle ajouté.

Cet aspect politique efface parfois l'aspect juridique. Bizarrement, tout au long de ce procès et même du débat public qui l'a précédé, les détracteurs de Zemmour ont fait nettement moins référence aux propos tenus sur France Ô qu'à ceux tenus chez Ardisson. Un paradoxe vu que le chroniqueur était en difficulté juridique sur ce point. Cet évitement était compréhensible pour la défense qui voulait éviter de révéler une faiblesse, pas pour les associations anti-racistes. Mais du fait qu'Ardisson fait plus d'Audimat que l'émission de France Ô, la phrase sur les trafiquants a eu nettement plus d'impact politique et médiatique, il fallait alors surfer sur la vague. Les clefs de l'affaire Zemmour ne se limitent donc pas au Code pénal.
Tefy Andriamanana - 
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