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19 juin 2010 6 19 /06 /juin /2010 01:57

Olivier Ferrand, président du laboratoire d'idées Terra Nova

Retraites : les Français les moins qualifiés "vont payer l'essentiel de cette réforme"

LE MONDE pour Le Monde.fr | 16.06.10 | 17h12


steban : Vous la trouvez juste cette réforme?

Olivier Ferrand : Non. La mesure principale de la réforme, c'est le recul de l'âge légal de 60 à 62 ans. Qui va payer ? Ce sont ceux qui partent aujourd'hui à la retraite à 60 ans et qui devront désormais attendre 62 ans. En pratique, ce sont les Français qui ont commencé tôt à travailler, c'est-à-dire les moins qualifiés, et les plus modestes. Ce sont eux qui vont payer l'essentiel de la réforme. Si vous êtes, a contrario, diplômé d'HEC, vous commencez à travailler vers 23 ans, ce qui veut dire qu'à durée de cotisation inchangée (40,5 annuités aujourd'hui), vous finissez à 63,5 ans. Vous n'êtes donc pas concerné par la réforme.

Roll : Ne va-t-il pas devenir de plus en plus difficile de partir avec une retraite à taux plein?

C'est vrai. A partir du moment où rien n'est fait pour améliorer le fonctionnement du marché du travail, le recul de l'âge du taux plein aura pour conséquence, pour beaucoup de Français, d'augmenter les "trous" dans leur carrière, et donc de rendre plus difficile l'obtention d'une retraite à taux plein.

La vérité, c'est que toute mesure d'âge "sèche" a pour conséquence de transformer un "jeune" retraité en "vieux" chômeur. Ou bien, pour le dire autrement, de transférer les déficits des caisses de retraite vers celles de l'Unedic. C'est donc un jeu de bonneteau.

Les mesures d'âge sont nécessaires à terme parce que, effectivement, le problème des retraites en France est un problème démographique. Il se résout donc par des solutions démographiques. Mais ces mesures d'âge ne peuvent être efficaces que si elles ont pour préalable une réforme volontariste du marché du travail, et singulièrement l'emploi des seniors et l'emploi des jeunes. C'est notamment ce qu'ont souligné la CFDT et le Parti socialiste dans leurs interventions récentes.

ChrysF : Que peut-on faire pour inciter plus vigoureusement (voire contraindre) les entreprises à embaucher des seniors ?

Ce sujet différencie nettement la droite de la gauche. Pour le gouvernement, l'augmentation de l'âge de départ à la retraite doit entraîner mécaniquement l'amélioration du marché de l'emploi, et notamment des seniors. Pour les syndicats et la gauche, à l'inverse, l'amélioration de l'emploi des seniors est une condition préalable à toute augmentation de l'âge de départ.

Cette amélioration passe par une politique volontariste tous azimuts telle qu'elle a pu être mise en œuvre dans les pays les plus performants, la Suède notamment. Je rappelle que le taux d'emploi des seniors en France est de 32 % alors qu'il atteint 70 % en Suède.

Comment faire ? D'abord, il faut faciliter le temps partiel en fin de carrière. L'idée est de favoriser la transition progressive de l'emploi vers la retraite pour les salariés les plus âgés. La France pourrait s'inspirer du système suédois 50-80-100 : 50 % de temps de travail, 80 % de rémunération, 100 % de validation au titre de la retraite.

Ensuite, encourager le tutorat en entreprise. Il faut inciter les entreprises à faire des choix organisationnels compatibles avec l'intégration des travailleurs âgés.

Mais d'une manière globale, la politique d'emploi des seniors doit être beaucoup plus ambitieuse. Elle ne doit pas simplement accompagner l'augmentation de l'âge de la retraite, en permettant à ceux qui ont un travail à 60 ans de le conserver quelques mois de plus. Elle doit remettre au travail les salariés de la tranche 55-59 ans, pleinement compétitifs, dont le taux d'emploi est médiocre en France.

Terra Nova a proposé dans son rapport une série de pistes : mobiliser Pôle emploi dans l'accompagnement des seniors ; dédier un pourcentage des contrats aidés au retour à l'emploi des seniors ; élargir les règles de cumul allocation chômage-salaire pour les seniors ; rendre opérante l'obligation de négocier sur la gestion prévisionnelle des emplois et des carrières ; permettre un meilleur accès à la formation professionnelle pour les salariés en deuxième partie de carrière ; et enfin, mettre en place un système de bonus-malus global pour les entreprises. Comme vous le voyez, pour réussir, il faut une politique tous azimuts.

Pascal J. : Pourquoi épargner les retraités actuels alors que le système est déjà en situation de déséquilibre ? N'est-ce pas un signe que les pensions actuelles sont globalement trop élevées et qu'un "coup de rabot" s'imposerait ?

C'est effectivement, comme vous le savez, la position défendue par Terra Nova. Le niveau de vie des retraités d'aujourd'hui a rejoint, et même légèrement dépassé, le niveau de vie des actifs. C'est une excellente nouvelle, cela prouve que le système de retraite français mis en place dans les années 1950 a plus qu'atteint ses objectifs. Mais cela signifie aussi que les avantages fiscaux dont bénéficient les retraités, qui étaient liés à leur pauvreté relative, il y a trente ans, ne se justifient plus.

En pratique, nous proposons d'aligner la fiscalité des retraités aisés sur celle des actifs. Franchement, est-il normal qu'Antoine Zacharias, ancien PDG de Vinci, et titulaire aujourd'hui d'une retraite-chapeau de 2,5 millions d'euros par an, paie une CSG au taux de 6,6 %, inférieure à celle d'un salarié au smic (7,5 %)? De même, est-il normal qu'un couple de retraités à 5 000 euros par mois bénéficie d'un abattement pour frais professionnels de 10 % à l'impôt sur le revenu, alors que le smicard, qui, lui expose réellement des frais professionnels pour aller travailler (l'utilisation de sa voiture, par exemple), n'en bénéficie pas (parce qu'il n'est pas imposé) ?

Cet alignement des retraités aisés sur les actifs représenterait un gain financier pour les retraites de 5,5 milliards d'euros par an. C'est une mesure d'autant plus juste que toutes les autres catégories de la population sont amenées à faire un effort pour assurer le bouclage financier de notre système de retraite.

André Jean-Claude : Ne peut-on rêver et se donner les moyens d'une retraite à la carte, librement choisie par chacun : âge de départ, durée de cotisation, montant de la retraite ?

Vous avez tout à fait raison ! Et il ne s'agit plus de le rêver, mais de le faire. Les pays les plus avancés, la Suède notamment, ont mis en place un système de retraite à la carte qui permet de laisser, à chaque assuré, le choix d'arbitrer entre les différents paramètres de la retraite. Certains préfèrent cotiser plus longtemps pour avoir une retraite plus importante ; d'autres préfèrent partir plus tôt pour profiter de la retraite, quitte à avoir une retraite inférieure ; d'autres enfin voudraient cotiser plus fort pour accumuler plus rapidement des droits. Tout cela n'est pas possible dans le système français en l'état. Pourtant, techniquement, nous savons le faire.

La CFDT, le PS et Terra Nova, notamment, ont proposé de se lancer dans cette véritable réforme de société qui permettra à chacun, sur le modèle suédois, de choisir sa retraite. C'est un des grands manques de la réforme du gouvernement : elle se concentre sur les questions financières "paramétriques" et elle laisse de côté la réforme "systémique".

Relique : La réforme du gouvernement  prévoit de supprimer la possibilité pour les fonctionnaires de partir plus tôt avec une pension minimum. Est-ce que cette décision mènera à avoir des professeurs de 65 ans (voire 67) dans le second degré ?

C'est une mesure d'alignement des fonctionnaires sur le privé. Je ne suis pas sûr qu'elle ait les conséquences que vous dites. Ce qui est certain, c'est qu'elle était très favorable, notamment dans le cas où les deux membres du couple travaillent.

Jean B: Le PS veut revenir sur la décision de porter à  62 ans l' âge légal de départ à la retraite. Ne pensez-vous pas que du coup cela obligera ensuite à prendre des mesures plus radicales, par exemple un départ à 65 ans après 2020 ?

Je ne crois pas. Tout le monde est d'accord sur le diagnostic : il faut trouver 2 points de PIB, c'est-à-dire 40 milliards d'euros d'aujourd'hui par an, d'ici à 2050 pour assurer le financement des retraites. La question est de savoir qui paie. Le gouvernement propose de faire porter l'essentiel de l'effort sur les salariés modestes via le recul de l'âge légal de départ à la retraite.

Le PS propose à l'inverse de faire porter une part importante de cet effort sur les Français aisés, et notamment sur les revenus du patrimoine. Il envisage également des mesures d'âge à terme via un allongement de la durée de cotisation. Ces mesures ont l'avantage de faire porter l'effort de manière équilibrée sur tous les Français : que vous soyez apprenti ou diplômé d'une grande école, une hausse de la durée de cotisation s'applique à vous de manière égalitaire.

Wongy : Quand va-t-on parler des revenus du travail qui ont augmenté et n'ont pas été redistribués à qui de droit, quand va-t-on parler de la retraite comme salaire différé, quand va-t-on dire que même si la durée de vie augmente, la durée de vie en bonne santé elle n'augmente pas dans la même mesure ?

Ce que je comprends de votre question, c'est : est-ce que toutes ces mesures sont inéluctables ? C'est une interrogation légitime.

Si nous avions  5% de croissance annuelle comme dans les "trente glorieuses", le problème des retraites ne se poserait pas. Si nous avions un marché du travail aussi performant que les pays européens les plus dynamiques, le problème se poserait aussi dans des termes très différents. Si la valeur ajoutée dans notre pays n'avait pas été captée depuis une vingtaine d'années par le capital au détriment du travail, là aussi, les choses seraient différentes.

Malgré tout, il est difficile de prétendre que l'on pourra remettre nos retraites à l'équilibre en améliorant la croissance, le taux d'emploi ou la répartition de la valeur ajoutée sans toucher aux paramètres de la retraite. Ce serait vraiment "raser gratis".

Nous sommes obligés, pour être réalistes, de considérer tous ces paramètres extérieurs comme des données et de réformer les retraites en conséquence. Cela n'interdit pas de mener des politiques économiques et sociales favorables à la croissance, à l'emploi et à la valeur ajoutée. Si elles aboutissent – ce qui n'est pas le cas depuis le milieu des années 1970 –, il sera toujours temps de déserrer la contrainte sur les retraites et, plus généralement, sur l'Etat providence.

Guest : Pensez-vous que la réforme proposée par le gouvernement équilibrera réellement les comptes en 2018 ?

Je n'en sais encore rien. Nous sommes en train de vérifier la synthèse financière qu'a présentée Eric Woerth [le ministre du travail]. A priori, certains chiffres nous semblent un peu gonflés. Par exemple, le gouvernement prétend récupérer 1,4 milliard d'euros par an à partir des surplus financiers de l'Unedic. Cela paraît peu crédible : l'Unedic est déjà en déficit, rien ne permet de penser que le taux de chômage va massivement s'améliorer, contrairement aux hypothèses du gouvernement (5,7 % en 2020). Et au surplus, la réforme présentée par le gouvernement va justement avoir comme conséquence de "plomber" les comptes de l'Unedic.

Car c'est là sans doute le point le plus contestable, au plan financier, de la réforme. Le gouvernement propose pour l'essentiel un recul "sec" de l'âge légal de départ à la retraite sans réelle politique volontariste d'amélioration du marché de l'emploi. Or, aujourd'hui, je rappelle que 68 % des Français de 60 ans sont au chômage.

Reculer l'âge légal au-delà de 60 ans signifie donc transformer de "jeunes" retraités en "vieux" chômeurs, je le répète. On transfère donc le mistigri des déficits des caisses de retraite aux caisses de l'Unedic, le régime d'assurance-chômage.

Ce jeu de bonneteau permet certes d'améliorer facialement la situation financière des caisses de retraite, mais n'améliore en rien la situation globale des finances publiques. Les marchés ne vont pas être contents !

Hervé.B : Pourquoi le PS n'essaye-t-il pas d'obtenir un référendum sur la question, comme le permet désormais la Constitution?

Mais c'est justement ce qu'il propose ! Malheureusement, autant le référendum d'initiative populaire a été intégré à la Constitution, autant on attend toujours les textes de mise en oeuvre concrète. Cela signifie qu'aujourd'hui, ce nouveau droit constitutionnel est gelé.


 

Edito du Monde

Une ambition qui devrait être bipartisane

LE MONDE | 16.06.10 | 13h43


u moment où le ministre du travail, Eric Woerth, rend public l'avant-projet de réforme des retraites, il faut, avant tout jugement de fond, rappeler trois dates : 1993, réforme Balladur ; 2003, réforme Raffarin-Fillon ; 2010, réforme Sarkozy- Woerth. Dans les trois cas, il s'agit de gouvernements de droite - convaincus, à la lecture de nombreux Livres blancs et autres rapports, qu'il est inéluctable d'agir et irresponsable de ne pas le faire.

Pour des raisons économiques - la croissance est trop faible pour assurer des rentrées de cotisations suffisantes - et démographiques - on gagne trois mois d'espérance de vie tous les quatre ans -, le financement des retraites n'est pas assuré. Il manque aujourd'hui 30 milliards d'euros dans les caisses, et le trou risque de passer à 70 milliards, voire 100 milliards d'euros en 2050 si rien n'est fait.

Sauver les retraites fait partie de ces grandes causes nationales qui, par-delà les alternances électorales, concernent et concerneront toutes les majorités.

La gauche l'avait acté en créant, en l'an 2000, sous le gouvernement de Lionel Jospin, le Conseil d'orientation des retraites. Le COR, en associant experts, partenaires sociaux et parlementaires, devait aboutir à un diagnostic partagé. Elle a cependant eu tendance, lorsqu'elle était aux affaires, à en rester au stade du diagnostic. Pour une raison simple : les remèdes à apporter la divisent infiniment plus que la droite, qui n'a aucun état d'âme à revendiquer la mise à mort de la retraite à 60 ans.

L'actuel gouvernement a cependant choisi d'abattre ses cartes dans une conjoncture qui n'est guère confortable : Bruxelles le pousse à réformer sans faiblir, alors qu'il ne dispose d'aucune réserve de popularité et ne s'est assuré de l'appui d'aucun syndicat. L'écueil qui le guette est celui qu'avait rencontré Alain Juppé en 1995 lorsqu'il avait voulu réformer et la Sécurité sociale et les régimes spéciaux des retraites : en faire trop dans la remise en cause des acquis, au nom de ce que le premier ministre, François Fillon, appelle le "devoir de vérité".

La réforme annoncée mercredi 16 juin pèche par manque d'équité : elle prévoit le retour à l'équilibre dès 2018, repousse l'âge légal du départ à la retraite à 62 ans et l'âge de la retraite à taux plein à 67 ans. En privilégiant cette voie, le gouvernement pénalise les salariés qui ont commencé à travailler tôt et les femmes, dont la vie professionnelle est morcelée. Face à cela, les mesures de justice sont réduites à la portion congrue : taxation des hauts revenus et entailles dans le bouclier fiscal ne rapporteront que 230 millions d'euros, alors que les mesures sur l'âge doivent permettre d'économiser 19 milliards d'euros. La prise en compte de la pénibilité se fera de façon individualisée et limitée.

Prudemment, Nicolas Sarkozy s'est donné quelques jours. Arrondir les angles et corriger la copie avant la présentation en conseil des ministres, le 13 juillet ? Ce serait sage. S'il est irresponsable de ne rien faire, il peut se révéler tout aussi contre-productif de vouloir transformer la réforme des retraites en bataille idéologique droite contre gauche.

 

Article paru dans l'édition du 17.06.10

 

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