LA SUPPRESSION du juge d’instruction, annoncée en janvier dernier par Nicolas Sarkozy, suscite actuellement quelques flottements au sein du gouvernement.
La ministre de la Justice, Michèle Alliot-Marie, et son secrétaire d’Etat, Jean-Marie Bockel,
expriment en effet des avis différents sur le sujet. Jean-Marie Bockel l’explique au JDD, il a ses
propres idées : il se déclare favorable à la création d’un « collège de l’instruction ». Il s’agirait de
juges d’instruction travaillant en équipe et en liaison avec le Parquet.
Ce collège de l’instruction « indiquerait une direction dans les enquêtes sur les affaires les
plus sensibles, les plus complexes, comme les dossiers de terrorisme, de corruption, de criminalité organisée ou de santé publique». Ce collège statuerait, par ailleurs, sur « les trois phases les plus importantes de l’instruction: la mise en cause d’une personne, le placement en détention provisoire, et le renvoi devant une juridiction de jugement ».
Dans l’esprit de Jean-Marie Bockel, ces magistrats du siège seraient « les garants de cette indépendance à laquelle nos concitoyens sont attachés ».
Pour être innovante, la proposition du secrétaire d’Etat à la Justice n’en diffère pas moins de celle
de sa ministre de tutelle. MAM s’est, en effet, prononcée à plusieurs reprises pour la création
d’un « juge de l’enquête et des libertés», dans le droit fil des propositions du rapport Léger. Le 6 novembre, face à des magistrats très sceptiques, au congrès de l’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire), la garde des Sceaux a assuré que ce juge de l’enquête et des libertés n’est « pas un alibi », et qu’il bénéficierait « des mêmes conditions d’indépendance que le juge d’instruction ». Elle a promis qu’il pourrait ordonner au procureur, pourtant devenu le seul directeur d’enquête, de poursuivre des investigations que celui-ci souhaiterait stopper, voire l’obliger à accomplir des investigations.
Enfin, MAM a évoqué la possibilité que le juge de l’enquête et des libertés puisse « prendre lui-même une décision de renvoi » devant un tribunal.
Le risque que soient enterrées les affaires gênantes pour le pouvoir
Le juge d’instruction, magistrat indépendant chargé des enquêtes sensibles, est très populaire:
71 % des Français lui font confiance, selon un sondage CSA du 29 mars dernier. On lui doit la
grande majorité des « affaires » politico-financières des vingt dernières années. Des personnalités
emblématiques (Eva Joly, Jean-Louis Bruguière, Renaud Van Ruymbeke, notamment) se sont
prononcées contre la disparition pure et simple du juge d’instruction, avec un argument massue: le Parquet, à qui reviendraient toutes les enquêtes, est sous l’autorité directe du pouvoir exécutif, et ne pourrait guère qu’enterrer les affaires gênantes pour le pouvoir.
C’est aussi l’avis du Syndicat de la magistrature (SM). Mardi, l’ancien président de la commission Outreau, le député (PS) André Vallini, devrait faire de nouvelles propositions, lors d’un colloque qu’il organise à l’Assemblée.
M.D.
Le JDD, samedi 14 novembre