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15 mai 2010 6 15 /05 /mai /2010 11:57

Entendu à la radio : une pub où un gamin complimente sa maman, qui est très contente. L'enfant lui dit que ses copains la trouvent bien, et qu'elle est toujours la mieux « sapée » (en effet, si l'enfant avait dit « habillée », on aurait fait chuter les ventes, mais mon propos n'est pas là).La mère demande à l'enfant de l'aider à ranger la vaisselle. Le chérubin apprenant que ce sont les assiettes de mamie, demande "Elle mangeait dedans quand elle était pas morte ?". Suit un slogan niais sur une musique niaise pour vanter « les arts de la table », et nous inviter à vite changer de vaisselle.

 

Cette tyrannie de la consommation doublée d'un discrédit affiché de tout ce qui pourrait avoir trait au passé est révélateur. Il y a pire, c'est sûr, mais mille bassesses répétées, assénées, montrées en exemple finissent par être non seulement un indicateur de l'évolution des valeurs, mais sont en plus un accélérateurde cette évolution. Voyez-vous, lorsqu'on a trop réussi sa vie, on sent - tout en n'ayant rien fait, mon dieu, de vraiment mal - ces mille petits dégoûts de soi, dont le total ne fait pas un remord, mais une gène obscure... ». dit le le Duc de Guiche, s'interrogeant, à la fin de sa vie sur le sens de ses actes. C'est dans le Cyrano d'Edmond Rostand, que je lisais quand je n'étais pas mort.

 

Les marchands de tout poil (de toute poêle en l'occurrence) ont toujours cherché à ringardiser l'ancien pour qu'on achète du nouveau, mais que tranquillement un publicitaire imagine une telle formule "Elle mangeait dedans quand elle était pas morte ?", et qu'un groupe de créâââtifs décérébrés(c'est bon ça coco, c'est super bon !) la retienne pour la proposer à un client me dépasse. Le client l'a accepté sans souci pour son image, trouvant normal qu'un enfant ait le dernier mot sur sa mère, qui ne peut lui dire combien vivre avec des objets ayant appartenu à ceux qu'on aime est une façon d'encore vivre avec eux, et de les porter dans notre quotidien, de les honorer sans les sacraliser.

La pub est pleine de ces glissements subtils, et abjects : mort signifie « à jeter », ride signifie « maladie » (il y a longtemps, dans un cours d'anthropologie du corps j'avais fait travailler mes étudiants sur les pubs pour les produits de beauté et anti-rides, c'est édifiant... exemple : slogan de nivea pour ses crèmes : la santé passe aussi par la peau...).

Ma Mamie est morte cet hiver, elle avait gardé une vieille timbale métallique au fond de son placard, déformée par les années, un truc sans valeur, que j'ai maintenant chez moi. Il y avait dedans toute mon enfance, et les menthes à l'eau qu'elle m'y servait. Il y avait mes culottes courtes, et sa façon de préparer les tartines avec les fraises du jardin, en mettant du sucre dessus, il y avait les clapiers où j'allais embêter les lapins, il y avait même une vieille estafette du marchand ambulant qui arrivait dans la rue en klaxonnant, elle m'y achetait les chaussons pour l'année. Il y avait tout ça au fond de la timbale. Et dedans, il y avait bien plus encore, que je ne vais pas raconter là... tout un chacun pétri d'un peu d'humanité saura de quoi je parle. Tout un chacun sauf les publicitaires qui saccagent tout.

Ce sont eux les barbares.

C'est eux qui sont morts.


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