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27 décembre 2010 1 27 /12 /décembre /2010 15:22

La franchise est une grande qualité, surtout lorsque la communication use jusqu'à la corde de formules sans fond et qui, tel un effet boomerang, reviennent à la figure de l'expéditeur.

Dans le Monde du 10 décembre dernier, Maurice Leroy joue carte sur table : « Je ne suis pas Merlin l'Enchanteur, je n'ai pas de baguette magique ». Point donc de rhétorique chez ce ministre : il ne décevra pas puisqu'il fera ce qu'il peut, avec un budget en diminution de 10 % en 2011.

La particularité communicative de Leroy est donc le refus du "spectaculaire". Avec un objectif clair : "Si, dans les 18 mois qui viennent, j'ai réussi à faire en sorte que, sur les contrats urbains de cohésion sociale (Cucs, créés en 2007 et censés formaliser la politique de l'Etat envers les quartiers difficiles), les crédits arrivent dans les communes fin mars, et non plus en décembre comme aujourd'hui, j'aurais plus fait que tous les autres ministres de la Ville" (Le Monde).

On ne sait s'il faut en rire ou en pleurer, s'il s'agit de cynisme ou d'une clairvoyance désenchantée. Avec Leroy, la politique de la ville entre en hibernation. Comme s'il s'agissait d'expédier les affaires courantes, sans enthousiasme, sans volontarisme, en intégrant ce minimalisme républicain dont la politique de la ville est frappée.

Avec Leroy, une chose est claire : la politique de la ville ne semble t pas être une priorité du gouvernement.

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24 décembre 2010 5 24 /12 /décembre /2010 04:33

 

La finance solidaire est-elle efficace dans la lutte contre la pauvreté ? C'est pour répondre à cette interrogation centrée sur les pays du Sud qu'une conférence a été organisée à l'Institut catholique, dans le cadre de la Semaine de la finance solidaire. La chercheuse Hélène Giacobino a présenté les premières conclusions des études d'impact du Labo Lutter contre la pauvreté, créé par Esther Duflo en 2003.

A partir d'évaluations conduites dans une trentaine de pays, auprès de populations soutenues par la microfinance et de groupes-tests, les études ont balayé quelques clichés : les prêts consentis à des hommes fonctionnent très bien (même s'ils sont très minoritaires), les remboursements mensuels réduisent les coûts, les prêts avec caution marchent aussi bien que les prêts qui n'en ont pas.

Comme beaucoup d'observateurs, Hélène Giacobino admet que la microfinance n'est pas le remède universel contre la pauvreté et qu'en même temps elle est une partie de la solution, à condition de laisser évoluer ses différents modèles, de mettre en œuvre de nouveaux produits et de se coordonner avec la mésofinance, plutôt tournée vers la création d'entreprises. Le financement d'activités individuelles reste un moyen d'assurer des revenus pour soi et pour sa famille.

C'est une grande différence entre les pays du Nord et du Sud : 40 % des personnes créent leur activité individuelle au Sud, contre 12 % dans les pays de l'OCDE. Dans une deuxième partie de la conférence, les financeurs solidaires ont montré comment l'épargne solidaire pouvait être un soutien pour les projets du Sud.

Depuis quelques années, la SIDI ne consacre plus exclusivement ses fonds à des institutions de microfinance, mais elle se tourne désormais vers des organisations paysannes, en les aidant à se structurer. De son côté, Marc-Henri Stroh, pour Oikocredit, estime que la microfinance s'adresse aux gens qui peuvent être entrepreneurs ; pour les plus pauvres, il faut penser à d'autres solutions. La cible des micro-activités est bien celle de la Cofides, qui se porte garante auprès des banques locales. Hubert de Beaumont, créateur du fonds Afrique de Garrigue et Tech-Dev, pense comme ses collègues, que la microfinance doit être d'abord un outil pour valoriser les ressources locales, en créant de la richesse. Pour que la création d'emplois et de richesses soit significative, le fonds Afrique développe pour sa part une logique de mésofinance, avec des apports plus importants pour des sociétés qui ont du mal à trouver du capital.

Pour tous, la microfinance reste utile, à condition de ne pas lui appliquer des critères de rentabilité financière, mais bien de focaliser sur l'impact social.

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23 décembre 2010 4 23 /12 /décembre /2010 06:29

Le mot revient souvent dans la bouche de ceux qui mettent en œuvre les politiques publiques : ces dernières seraient frappées d'une « impuissance » face à l'immensité des défis à relever.

Certes, tout dépend du contexte. Les communes de petite taille ou rurales ont certes des difficultés à faire face au retrait progressif des financements publics de proximité mais elles ne connaissent pas la dureté sociale de certaines banlieues où le mur de l'impuissance est plus élevé encore.

Cette impuissance à changer la donne concerne plus directement les secteurs les plus sensibles, parce que l'enjeu y est plus clairement défini et parce que la puissance publique y joue sa crédibilité. C'est en effet là que le droit commun devient le repère absolu de la République.

Certes, l'on sait depuis très longtemps que l'école n'est pas territorialement égalitaire et que l'utopie d'un enseignement uniforme a viré en eau de boudin. Mais la « puissance » du pacte républicain est d'amorcer cette possibilité de recentrage entre des populations aux destinées variables.

Et c'est là que le grand écart se creuse : les quartiers dits difficiles se vident des populations qui « ont la chance » d'en partir ; les quartiers riches se barricadent ; les zones mixtes se raréfient.

Et au milieu coulent des profs, des établissements scolaires, des éducateurs qui n'ont plus le sentiment de pouvoir servir à quelque chose. « Impuissance » doit vouloir à peu près dire dans le dictionnaire : « Impossibilité marquée et durable à ne pouvoir changer les choses ».

Jusqu'ici, c'est un moindre mal...

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22 décembre 2010 3 22 /12 /décembre /2010 05:17

Loin de nous l'idée ou l'intention de faire une fixation sur Maurice Leroy, ministre de la Ville dont nous estimons, sans être les seuls, qu'il tarde  à donner du grain à moudre aux acteurs de la politique de la ville sur ses véritables intentions pour les 17 mois à venir de son action.

Mais sa réaction à l'info publiée par Le Monde sur l'enlisement progressif des banlieues dans le chômage relève du surréalisme, pour rester poli. Alors que l'ONZUS tire une nouvelle fois la sonnette d'alarme sur le fléau du chômage dans les banlieues, il estime que cette manière de voir relève d'une « vision partielle de la réalité du quotidien de nos quartiers » dont il juge les habitants, à juste titre d'ailleurs, pleins de dynamisme et de vitalité.

De quoi parle-t-on ?

Que des associations se battent avec un héroïsme proverbial dans les cités est une évidence au regard du retrait récurrent de leur financement public. Mais M. Leroy ne confond-il pas le diagnostic cru et terrible avec la dynamique associative, réelle mais malheureusement dans l'incapacité de donner un emploi aux 43 % de jeunes qui en cherchent !

De plus, c'est l'ONZUS et non Le Monde qui établit ce constat, un observatoire reconnu pour la qualité de ses analyses.

Donc, pas de fixation sur la personnalité de Maurice Leroy mais le sentiment très net qu'il n'a pas encore bien appréhendé le défi qui devrait être le sien : réconcilier les 5 millions d'habitants des ZUS avec le reste des Français.

L'impression de légèreté des premiers pas ministériels a du mal à se dissiper...

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17 décembre 2010 5 17 /12 /décembre /2010 05:50

La récente polémique initiée par les propos de Marine Le Pen est symptomatique des raisons du succès de son discours.

 

Nos élites médiatiques (journalistes, politiques et « experts ») sont enfermées dans un discours conçu comme politiquement correct, où affleure en permanence la pensée unique.  Certaines choses ne doivent pas être dites ni décrites, comme si ce déni de dénomination valait déni d’existence.  Aveuglées par une bien pensance qui confond tolérance et laisser-faire, qui confond respect et renoncement, nos élites ont oublié de défendre l’une des valeurs centrales de notre démocratie : la laïcité.

 

Par un curieux hasard du calendrier, trois événements récents sont venus nous rappeler à notre responsabilité dans ce combat pour la laïcité.

  • Jean-Louis Borloo a réuni plus de 800 invités lors d’un dîner de la république pour commémorer la loi de 1905 sur la laïcité.  Dans son discours, il a placé la laïcité au centre de son programme politique, comme ciment de toute action publique.
  • Baby Loup a gagné aux Prud’hommes contre une employée qui refusait de retirer son voile au travail, contrairement au Règlement Intérieur de l’établissement
  • L’affaire du niqab au volant, surexploitée politiquement, a fait pschit.  C’est finalement un bon signe, car dans un Etat de Droit, chacun, quelque soit ses croyances ou pratiques, doit pouvoir faire respecter ses droits.

 

La question que pose Marine Le Pen au travers de sa dernière provocation (par laquelle elle se pose en légitime héritière de son père, campagne interne au FN aidant), est une question que de nombreux Français se posent.  Où et comment mettre une frontière face aux exigences de visibilité du fait religieux ?

 

J’invite nos élites à se rendre en voiture à proximité d’une mosquée un vendredi midi.  Voitures garées ou plutôt posées partout, bloquant sérieusement la circulation ; dizaines et dizaines d’hommes priant à même le trottoir.  Face aux barbes longues en habit traditionnel, l’amalgame guette et la peur peut s’immiscer. Malheureusement, tous les citoyens s’interrogent, mais la seule personnalité politique à en parler, et à donner le ‘la’ des débats est Mme Le Pen.

 

Ce ne sont pas les croyants le problème, contrairement à ce que dit Mme le Pen.  Le problème vient de ce que les municipalités (droite et gauche confondues) refusent de voir le problème, et donc de le traiter.  La solution au stationnement intempestif n’est pas la fourrière, mais un plan de circulation adapté pour permettre un ‘stockage’ des voitures de manière ordonnée et organisée.  Lorsqu’il existe un parc de stationnement à proximité, tout doit être fait, en collaboration avec les dirigeants de la mosquée, pour y diriger les véhicules.  A ce moment là, il devient légitime de demander à la Police de verbaliser ceux qui ne respecteraient pas les dispositions prises.

 

L’autre façon de traiter ce problème est bien évidemment de construire des mosquées.  Les mosquées existantes aujourd’hui sont trop peu nombreuses, et celles qui existent sont souvent trop petites.  Il est légitime que les musulmans de France disposent de lieux de culte dignes.  La meilleure façon d’éviter que des pratiquants soient contraints de prier dans la rue est de leur proposer des lieux de culte adaptés.  La frilosité, voire l’hostilité des municipalités à l’implantation de mosquées est une partie du problème.

Les mêmes qui refusent que les mosquées soient construites sur leur territoire s’offusquent ensuite des propos de Mme le Pen.  En réalité, leur politique fondée sur le déni du réel nourrit le succès du Front National.

 

Pour conclure, je rappellerai que la laïcité n’est pas un moyen de lutter contre une religion, mais le moyen le plus noble de respecter chaque individu dans ses choix religieux, à partir du moment où ce choix ressort exclusivement du domaine privé. La laïcité permet de cantonner la religion au domaine privé.  Tout effort de l’imposer dans le domaine public doit être combattu avec vigueur.

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16 décembre 2010 4 16 /12 /décembre /2010 01:39

 

Un mois après le remaniement gouvernemental, Jean-Marie Bockel (Gauche Moderne), l’ancien secrétaire d’État à la Justice, a récupéré, hier au Sénat, le siège qui avait été occupé pendant trois ans et demi par le Vert Jacques Muller.

Par ailleurs, André Reichardt fera, aujourd’hui, son entrée au Palais du Luxembourg comme sénateur du Bas-Rhin, à la place de Philippe Richert, le nouveau ministre alsacien chargé des Collectivités territoriales.

 

L’ex-maire de Mulhouse, Jean-Marie Bockel, analyse son action dans la majorité et nous confie ses projets.

 

Dans quel état d’esprit opérez-vous ce retour au Sénat ?

 

J.M. Bockel. Je suis par tempérament toujours tourné vers l’avenir, sans ressasser les situations antérieures. Mon départ du gouvernement représentait un changement, pas un échec, même si cela m’a perturbé car je ne m’y attendais pas.

Ce retour au Sénat marque une nouvelle étape, comme je l’explique dans une lettre envoyée aujourd’hui à 377 maires du Haut-Rhin. Je ne suis plus bridé par la solidarité gouvernementale, et retrouve une liberté totale d’expression et de vote, dans un groupe charnière du Sénat : le RDSE (Rassemblement démocratique et social), qui a décidé de m’accueillir, compte dans ses rangs Jean-Pierre Chevènement et Daniel Marsin, de la Gauche Moderne, et cinq membres de la majorité sur 18 sénateurs.

 

Croyez-vous toujours possible de faire pencher la majorité à gauche ?

 

Pour affirmer notre indépendance, La Gauche Moderne, que je préside, a décidé de se passer des subsides de l’UMP, qui représentaient 20 % de nos finances. Et nous nous mettons en ordre de marche dans la perspective des cantonales. Mais je n’ai pas encore pu parler avec le président Sarkozy de notre place dans le dispositif, nous avons rendez-vous pour cela le 21 décembre. Il est donc un peu tôt pour répondre à la question. Le fait qu’il n’y ait plus de représentant de l’ouverture au gouvernement n’est pas un signal positif. Peut-être avons-nous été trop discrets pour créer un vrai rapport de force, d’où notre rapprochement avec les centristes et Jean-Louis Borloo. Nous ne devons pas nous fondre dans ce pôle, mais y trouver des alliés. Car on ne gagnera pas en 2012 en cherchant à tout prix attirer l’électorat du FN.

 

Quel bilan tirez-vous de votre expérience au gouvernement ?

 

On verra à la fin de l’histoire si j’ai eu tort ou raison d’accepter l’ouverture. J’y ai vraiment cru et j’y crois encore, même si on a désormais plutôt un gouvernement de fermeture. Mais je ne regrette rien, malgré la frustration d’avoir dû quitter le secrétariat d’État à la Coopération de manière prématurée, et pour avoir dit la vérité, de surcroît. Ce n’était pas une promotion d’aller aux Anciens Combattants, mais mon passage dans ce ministère a été apprécié.

Enfin, malgré le contexte difficile à la Justice, où je disposais d’un secrétariat d’État sans attribution, j’ai fait des choses passionnantes, sur les prisons ouvertes et la prévention de la délinquance. Je compte d’ailleurs m’exprimer prochainement là dessus, car mon rapport a été lynché par les médias et rendu au plus mauvais moment, avant le remaniement.

 

À titre personnel, quelles sont désormais vos ambitions ?

Je ne serai pas un sénateur en préretraite. Je compte bien être actif, même si je n’ai pas encore de projet législatif, et s’il faut attendre les sénatoriales de septembre prochain pour que les cartes soient rebattues concernant les commissions et leurs présidences. J’irai jusqu’au bout de mon mandat en 2014, et je ne m’arrêterai pas là.

En outre, j’assure toujours la présidence de l’agglomération mulhousienne, ce qui n’est pas mal, et vais me réinscrire au barreau de Mulhouse, pour garder un pied dans la vie professionnelle, au cas où.

Enfin, j’ai deux projets de livre, sur la prévention de la délinquance, et l’autre sur mon expérience politique, qui n’est pas ordinaire.

 
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15 décembre 2010 3 15 /12 /décembre /2010 06:21

Elle était bien mal barrée, la révolution de Cantona.

Primo, il n'avait pas structuré son appel du 7 décembre et a été débordé par cette vitalité du buzz qui prend au mot dit les bavardages supposément conséquents. Secundo, on peut être de gauche et gagner de l'argent mais la morale de l'histoire s'arrête toujours au seuil de sa propre expérience.

L'argent est un très vieux tabou en démocratie.Ceux qui en ont assurent qu'il ne fait pas le bonheur avant de couper délicatement leur tournedos Rossini. Ceux qui n'en ont pas jouent au Loto.

Au début des années 80, le capitalisme a libéré la part hédoniste de notre société. Avoir de l'argent permettait aux amateurs de la chose de jouir des grosses berlingues et autres froufrous bling-bling. Mais le système capitalistique, pas idiot, a intégré dans sa course folle vers le fric la culture : ceux qui parlent le mieux aujourd'hui de Picasso sont les bourgeois et l'intelligence engendre le fric dans un monde de concurrence économique et intellectuelle généralisé.

Certes, l'argent des dealers n'est pas celui des galeries de peintures mais l'indécence d'un réseau de drogue n'a rien à envier aux surenchérissements financiers hallucinants du marché de l'art. Donc, Canto se trompe en estimant que son patrimoine est à brader. Car tout le monde cherche à s'enrichir, n'importe comment. Cette attraction donne quitus à la forme sur le fond. L'essentiel est d'exister sur la toile, de gagner vite et bien sa vie. Cette thématique de l'exemplarité, obsédante dans cette chronique -vous l'aurez certainement remarqué-, est fondamentale pour reconstruire la fameuse cohésion sociale dont tous les élus entonnent l'impérieuse nécessité.

Le guetteur de 11 ans dans un quartier chaud sait très bien qu'il joue avec sa vie et d'ailleurs, quelques balles lui traversent parfois la peau (transposition du jeu GTA 4 sur Play Station dans la réalité, le virtuel devient réel, c'était écrit). L'éducateur cherche à le convaincre qu'il y a d'autres façons d'envisager sa vie. « Ah bon, lesquelles ? », dit le jeune. Et là, l'éducateur, métier ô combien noble dont il faudrait densifier la représentation, piétine. L'actualité n'est que le récit extravagant des turpitudes morales. Et le succès du film de Xavier Beauvois « Des dieux et des hommes » répond à cette absence de référents : qu'est-ce qu'une vie exemplaire ? Qu'est-ce que le don de soi et non le recroquevillement hédoniste ?

Canto est un bouffon pour ceux qui considèrent à juste titre que le système démocratique s'est empalé dans une quête individualiste effrénée. La seule révolution qui vaille est le retour aux fondamentaux républicains, avec le seul combat porteur d'espoir : un contrat éducatif respectueux du lieu de naissance et d'origine, débarrassé de tous les biais consuméristes. Mêmes les capitalistes ont aujourd'hui mauvaise conscience, certains millionnaires américains souhaitant payer plus d'impôts.

Aux Etats de tracer la vraie route qui éviterait que le fric soit le seul cheminement de reconnaissance sociale. Non, avoir une Rolex n'est pas la preuve symbolique d'une vie sociale aboutie. 

 

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14 décembre 2010 2 14 /12 /décembre /2010 03:09

Jean-Marie Bockel et quelques membres de La Gauche Moderne faisait partie des 800 convives du "dîner de la République" organisé jeudi soir par Jean-Louis Borloo. Contacté par leJDD.fr, le président de la Gauche moderne dresse un bilan positif de la première sortie publique de l'ex-ministre de l'Ecologie depuis son départ du gouvernement. Pour autant, l'ancien socialiste, débarqué lui aussi de l'équipe Fillon, souhaiterait que les discussions s'accélèrent concernant la mise en action d'une "confédération des centres" en vue de la présidentielle de 2012.

 

Jean-Marie Bockel

 Jean-Marie Bockel est bien décidé à faire entendre sa voix. (Maxppp)

Vous étiez convié au "dîner de la République" jeudi soir. Qu'en avez-vous retenu? 
Disons que c'était une initiative intéressante dans le sens où elle rompait avec l'air du temps. Nous vivons actuellement une période où tout le monde au sein de la majorité est en clivage et Jean-Louis Borloo a voulu, lui, fédérer, qui plus est d'une manière originale, non ringarde. Dans cette période de crise sociale, économique et morale, l'idée de revenir aux fondamentaux de la République, n'a pas manqué d'intérêt. Surtout que Jean-Louis Borloo s'est montré en prise avec les enjeux de notre pays. Cela a fonctionné. Pour tout vous dire, tout le monde - moi y compris - était un peu surpris au départ de ce "dîner de la République". On ne savait pas s'il fallait y aller ou pas et finalement, sans avoir révolutionné les choses, cela a été un moment fort. Dans la période actuelle, cela fait chaud au cœur.

Souscrivez-vous à la critique de Jean-Louis Borloo contre les "conservateurs bien coiffés", qui visait à l'évidence François Fillon? 
Je ne rentre pas dans la critique de qui que ce soit, cela ne m'intéresse pas. Tout ceci est anecdotique. En revanche, l'idée de dire que, comme dans toute démarche humaine, il y a des conservateurs et des gens qui vont de l'avant, c'est une vérité première que Jean-Louis Borloo a bien fait de rappeler. D'autant plus que lui-même a fait l'objet de vives critiques: on l'a décrit comme un type brouillon ou désordonné, alors qu'en fait, Jean-Louis Borloo assume ce qu'il est. Et les réussites qu'il a pu avoir au gouvernement ou dans sa ville de Valenciennes sont bien réelles.

"Qu'on accélère le mouvement"

Au cours de son discours, Jean-Louis Borloo s'est félicité de sa "liberté de parole" retrouvée. Vous qui êtes bien placé pour en parler, se sent-on mieux à l'intérieur ou en dehors du gouvernement? 
Ce sont deux situations évidemment différentes. Etre dans le gouvernement, c'est être dans l'action, à condition toutefois d'avoir la latitude pour agir - ce qui n'était pas forcément mon cas, car j'étais relativement bridé dans mes fonctions. Certes, on est contraint dans son expression, mais quand on aime l'action, ce n'est pas satisfaisant en soi de devoir y mettre un terme. D'un autre côté, la vie politique est rythmée par des moments d'action et des moments de réflexion et d'expression totalement libres. Jean-Louis Borloo, comme moi-même, est désormais dans ce cas. C'est effectivement un vrai bonheur que nous n'allons pas bouder.

Où en est la fameuse "confédération des centres" que vous et d'autres appelez de vos vœux? 
Elle avance lentement. Pour le moment, le projet en est au stade de contacts entre les différents courants centristes de la majorité. Cela ne concerne pas directement la Gauche moderne, mais comme je l'ai dit à Jean-Louis Borloo la semaine dernière, nous sommes prêts à nous lancer dans l'aventure si cette démarche prend effectivement forme. J'espère que des initiatives en termes de réflexions, de propositions et d'organisation communes seront prises dans les semaines qui viennent. Pour tout dire, j'aimerais bien qu'on accélère le mouvement, sans précipitation toutefois, afin de parvenir à quelque chose de concert avant les échéances électorales du printemps prochain (le scrutin cantonal des 20 et 27 mars 2011, ndlr).

"Pas question de créer une nouvelle UDF"

Tout cela le plus loin possible de l'UMP? 
Non, pas du tout. A titre personnel, je n'ai jamais posé comme préalable le fait de quitter l'UMP - pour ceux qui y sont, ce qui n'est pas mon cas. Moi, je dis: "Allons-y, lançons-nous" en laissant à chacun la liberté de rester là où il est, sinon cela ne marchera pas. Je respecte les sensibilités de chacun: il n'est pas question, me semble-t-il, de vouloir créer une nouvelle UDF. Si c'est le cas, je ne suivrai pas. Et Jean-Louis Borloo non plus d'ailleurs.

Entre Hervé Morin et Jean-Louis Borloo, pensez-vous réellement qu'un seul des deux sera candidat en 2012? 
La question des candidatures est, à ce stade, très prématurée, tout le monde le reconnait. Attendons le moment venu. C'est un débat qui viendra en temps utile.

Jean-Louis Borloo laisse planer le suspense. A-t-il envie d'être candidat, selon vous? 
Il faut distinguer ce qui se dit et la réalité des choses: il est certain que Jean-Louis Borloo est quelqu'un de très réfléchi, qu'il ne veut pas se précipiter dans une démarche tant qu'il n'est pas sûr de pouvoir la mener à son terme. Et il a raison, c'est un gage de crédibilité.

Article paru dans le "JDD"
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8 décembre 2010 3 08 /12 /décembre /2010 23:29


La France est à la veille d'une réforme gravissime, l'une des plus lourdes depuis la Libération: à petits pas, sans le dire, Nicolas Sarkozy prépare une privatisation rampante de la Sécurité sociale. C'est à la faveur du dossier de la dépendance, présenté comme le grand chantier présidentiel de l'année 2011, que les premiers coups de boutoir seront donnés contre ce système clef de l'Etat providence que les Français perçoivent à juste titre comme leur premier et principal acquis social, le pivot essentiel de notre modèle social.


Rien n'est dit publiquement. Dans toutes ses déclarations officielles, Nicolas Sarkozy jure même de son attachement à la Sécurité sociale, qui, depuis sa fondation en 1945, repose sur le système de la répartition, c'est-à-dire sur un système collectif et solidaire, tournant le dos au système de l'assurance privée individuelle. Depuis des lustres, le lobby très puissant des assureurs privés rêve de mettre à bas ce système. Et pour la première fois, un gouvernement, celui de François Fillon, s'apprête à accéder à ses demandes.

Le premier à sonner la charge a été Claude Bébéar, le fondateur du groupe d'assurance Axa, qui, dès 1996, avait sommé le gouvernement d'Alain Juppé d'avancer vers des « sécurités sociales privées », en émettant la recommandation que ce système fonctionne au « premier franc ». « Autant dire, tuer la Sécurité sociale », commentait à l'époque L'Express <http://www.lexpress.fr/informations/secu-bebear-contre-juppe_619521.html> . 

Puis, il y a eu un deuxième assaut, celui de Denis Kessler (ancien numéro deux du patronat, ancien président de la Fédération française des sociétés d'assurance et actuel président de la Scor, un géant de la réassurance) qui, dans une déclaration tonitruante au magazine Challenges, le 4 octobre 2007 <http://www.challenges.fr/magazine/analyse/0094.005304/?xtmc=kessler_resistance&xtcr=4> , avait estimé que la politique économique de Nicolas Sarkozy était moins brouillonne qu'on pouvait le penser : « Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d'importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique, régimes spéciaux de retraite, refonte de la Sécurité sociale, paritarisme... A y regarder de plus près, on constate qu'il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C'est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! »

Et enfin, il y a eu un troisième assaut, plus récent celui-là, le 9 mai 2010, celui d'Alain Minc, qui a suggéré, avec la morgue qu'on lui connaît (voir la vidéo ci-contre), que les personnes âgées coûtaient trop cher à la collectivité et qu'il fallait trouver de nouvelles sources de financement. Une sortie qui a beaucoup choqué dans le pays, et dont on n'a pas bien compris à l'époque qu'elle était prémonitoire. 

<http://www.mediapart.fr/files/media_27/CNR.png> 

Mais, avant d'aller plus avant, arrêtons-nous un moment sur la sortie de Denis Kessler, partisan de remettre en cause le programme du CNR. Car tout est là ! L'une des mesures phare de ce célèbre programme (on peut le consulter ici <http://www.larecherchedubonheur.com/article-31547277.html> ), diffusé à l'époque dans le sud de la France sous le titre Les Jours heureux, est d'instaurer « un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d'existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l'État ». Et c'est pour respecter cet engagement que dès le 4 octobre 1945 une ordonnance est prise dont l'article 1 est le suivant : « Il est institué une organisation de la sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu'ils supportent. » 

Pressant à l'automne 2007 Nicolas Sarkozy de tourner le dos à cet héritage, Denis Kessler a certes été un peu vite en affaire, car dans les mois suivants, le chef de l'Etat n'a pas exaucé son souhait. Mais le chef de file du lobby des assureurs privés ne s'est trompé que sur le calendrier. Car c'est bel et bien en ce sens que le gouvernement compte désormais avancer. Et c'est le difficile dossier de la dépendance qui va lui en fournir le prétexte. Décryptons en effet les déclarations de ces derniers jours.

Le premier à s'être exprimé sur le sujet est Nicolas Sarkozy. C'est lui, lors de son récent entretien télévisé, le 16 novembre, qui a indiqué que le dossier de la dépendance serait le grand chantier de 2011. Et en apparence, il en a parlé dans des termes qui ne justifient aucune inquiétude. Indiquant que la réforme gouvernementale serait introduite dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale débattue à l'automne 2011 au Parlement et qu'elle serait précédée d'une grande consultation s'étalant sur six mois, il a en apparence été fidèle à cette tradition qu'incarne la Sécurité sociale.

Rappelant qu'en 2040, la population des plus de 60 ans aura progressé de +30% voire +50%, le président de la République a évoqué la nécessité d'aboutir à un «système juste et équitable» pour qu'une personne âgée où «qu'elle se trouve sur le territoire puisse vivre dignement chez elle ou dans une maison (...) Nous réglerons la question de la dépendance (...) et apporterons une réponse à l'angoisse des gens». Que redire à cela ? 

* Une protection sociale généreuse pour les riches, réduite pour les pauvres

Soulignant qu'il « y a 250.000 personnes de plus par an victimes d'Alzheimer» en France, il a ajouté que son ambition était de résoudre la «question de la place des personnes âgées dans la société », « la question de la dignité des vieux, d'une population dont la vieillesse augmente, et d'enfants qui sont totalement démunis » face à la dépendance de leurs parents âgés.

Mieux que cela! Le chef de l'Etat a aussi apporté cette précision, qui peut sembler lever les ultimes inquiétudes: cette réforme devra déboucher sur la création à l'automne prochain «d'un nouveau risque, une nouvelle branche de la Sécurité sociale», la dépendance, aux côtés des quatre branches actuelles que sont la maladie, la famille, la retraite et les accidents du travail. En clair, le propos suggérait que ce nouveau risque, qui va exploser dans les années futures, ne sera pas le prétexte à un contournement de la Sécurité sociale. « Je souhaite la création, pour la première fois depuis la Libération, d'un nouveau risque, d'une nouvelle branche de la Sécurité sociale : le Cinquième Risque », a dit Nicolas Sarkozy.

Seulement voilà! Après ces propos rassurants, le chef de l'Etat a aussi glissé, comme si de rien n'était, d'autres remarques qui n'ont guère fait de bruit. Cela a été dit habilement, sous la forme de questions. Mais cela mérite tout de même attention. « Faut-il faire un système assurantiel ? Obliger les gens à s'assurer ? Faut-il augmenter la CSG ?
Faut-il avoir recours à la succession quand les enfants n'ont pas la volonté ou pas les moyens ? »

L'air de rien, au milieu d'autres pistes, Nicolas Sarkozy pose donc la question: «Faut-il faire un système assurantiel ? » En clair, faut-il sortir de la Sécurité sociale pour faire couvrir ce risque par les assureurs privés? Le chef de l'Etat n'a pas répondu à ses propres questions; il a juste suggéré que toutes les pistes étaient ouvertes.

Mais en fait, on va vite voir que ces interrogations présidentielles sont au cœur des éléments de langage, si l'on peut dire, que l'exécutif a mis au point pour préparer les esprits à une privatisation rampante de la Sécurité sociale.

Ecoutons en effet ce que dit, quelques jours plus tard, le 24 novembre, François Fillon, lorsqu'il prononce devant l'Assemblée nationale sa déclaration de politique générale (que l'on peut lire ici dans sa version intégrale <http://www.gouvernement.fr/premier-ministre/declaration-de-politique-generale-du-premier-ministre-a-l-assemblee-nationale> ): «Avec l'emploi, la sauvegarde et la modernisation de notre système de protection sociale s'imposent à nous. Nous avons commencé avec la réforme des retraites. Avec Xavier Bertrand et Roselyne Bachelot, nous allons poursuivre. Nous ne devons pas laisser dériver les comptes de l'assurance maladie par démagogie. Nous ne pouvons pas esquiver sur cette question notre responsabilité collective. Nous lancerons une concertation nationale sur la protection sociale qui associera tous les acteurs, les partenaires sociaux, les professionnels de santé, les mutuelles, les assurances, les collectivités territoriales, au premier rang d'entre elles les conseils généraux. »



Et il ajoute: «Cette concertation nationale aura évidemment pour but immédiat de traiter la question de la dépendance. Le coût est estimé à 22 milliards d'euros et il devrait atteindre les 30 milliards dans les prochaines années. Le nombre des plus de 75 ans devrait doubler au cours des prochaines décennies. Il s'agira en premier lieu de déterminer les besoins réels des personnes, d'examiner comment assurer le maintien à domicile des personnes âgées le plus longtemps possible. Il faudra ensuite sérier les pistes de financement : assurance obligatoire ou facultative, collective ou individuelle ?»

Il faut donc là encore soupeser chaque mot. Car en posant des questions similaires à celles du chef de l'Etat – « assurance obligatoire ou facultative, collective ou individuelle ?» –, François Fillon casse un tabou: il prépare, lui aussi, les esprits à ce que la Sécurité sociale ne soit plus le bouclier naturel qui protège les Français d'un risque majeur, avec ses sources de financements habituelles (cotisations sociales ou CSG), et à ce que les assureurs privés puissent mettre la main sur cet alléchant et gigantesque marché. En clair, en avant vers un système de protection sociale à deux vitesses, avec un système de protection étendue ouvert aux plus riches qui auront les moyens de s'assurer; et un système pour les plus pauvres régi par la solidarité, mais ne couvrant plus tous les risques! Autrement dit, les vieux riches seront protégés, mais pas les vieux pauvres!

* Un plaidoyer de l'UMP pour le lobby de l'assurance privée

Dans ce plan de communication, c'est enfin la ministre des solidarités, Roselyne Bachelot qui, dans un entretien au Figaro, le 26 novembre <http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2010/11/26/01016-20101126ARTFIG00639-bachelot-lance-le-debat-sur-la-dependance.php> , a sonné la dernière charge en date contre la Sécurité sociale: «Des mesures législatives doivent être votées à l'automne 2011 dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2012. Mais nous ne partons pas de rien! Plusieurs rapports, dont le dernier, celui de Valérie Rosso-Debord, posent les enjeux et les solutions qui peuvent être envisagées. Par ailleurs, la dépendance représente déjà 22 milliards d'euros, dont 5 milliards financés par les départements et 17 milliards par l'État essentiellement via la Sécurité sociale. Le débat devra aussi affiner les besoins futurs, qui sont évalués actuellement à 30 milliards d'euros.»

Question du Figaro: «Que pensez-vous de l'éventuelle mise en place d'une assurance privée? » Réponse de la ministre: «Je ne veux pas encore me prononcer. Le débat à venir sera aussi un débat de prise de conscience pour nos concitoyens. Les Français devront s'exprimer sur ce qu'ils jugent être la meilleure solution. Quelle pourrait être la part de l'assurance par rapport à la solidarité? Comment s'organiserait leur articulation? » Là encore, donc, même message subliminal, celui de la transgression: il ne faut rien exclure, et surtout pas le recours à l'assurance privée...

Le message n'est d'ailleurs pas même subliminal ; il est explicite. Car Roselyne Bachelot souligne qu'un rapport pose «les enjeux et les solutions qui peuvent être envisagées», celui de la députée UMP Valérie Rosso-Debord. Or, ce rapport, qui a été présenté à l'Assemblée nationale en juin dernier dans le cadre d'une mission de réflexion sur la dépendance, permet de décoder les projets du chef de l'Etat et du gouvernement, car tout y est dit, avec beaucoup moins de précautions de langage. Ce rapport, le voici:

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L'intérêt de ce rapport, c'est d'abord qu'il présente les enjeux de ce nouveau risque qui apparaît, celui de la dépendance, compte tenu des évolutions démographiques, de l'allongement continu de l'espérance de vie et donc du vieillissement de la population, ainsi que de l'extension de certaines maladies, comme celle d'Alzheimer.

<http://www.mediapart.fr/files/media_27/Projections.png> 

Un Français sur trois aura plus de 60 ans en 2050, contre près d'un sur cinq aujourd'hui, et plus de 15% de la population sera âgée de plus de 75 ans. «Le nombre des personnes âgées de soixante ans ou plus devrait s'accroître de près de 50 % par rapport à aujourd'hui, la hausse la plus forte se produisant dans les années 2030. En conséquence, près d'un habitant sur trois aurait alors plus de soixante ans contre près d'un sur cinq en 2010 et d'un sur quatre à compter de 2020», dit le rapport.

Si l'on retient aujourd'hui les critères d'attribution de l'Aide personnalisée d'autonomie <http://vosdroits.service-public.fr/F10009.xhtml> , qui a été créée en 2000 par Lionel Jospin, et qui est actuellement l'un des dispositifs publics d'aide aux personnes âgées dépendantes, le nombre des bénéficiaires pourrait passer de quelque 700.000 en 2002 à 1,6 million en 2040. En clair, le nombre de personnes âgées dépendantes devrait connaître une augmentation moyenne de 1% par an jusqu'en 2040. D'où, toutes dépenses comprises, cette évaluation du coût à terme de la dépendance, avancée par Roselyne Bachelot: 30 milliards d'euros!

Mais au-delà de ce constat, le rapport de la députée UMP retient surtout l'attention pour les pistes sulfureuses qu'il avance. D'abord, le rapport fait valoir (page 64) que «nous ne sommes plus du tout dans le contexte de la création de notre système de protection sociale». Et à l'appui de cette assertion, le rapport appelle à la rescousse non pas Denis Kessler, mais feu le président de la Cour des comptes, Philippe Séguin, qui avait un jour plaidé dans le même sens, au motif que «d'un côté, nous devons faire face à une explosion des dépenses; de l'autre, la mondialisation fait du poids des charges sociales une hypothèque pour la compétitivité de notre pays».

Le rapport fait donc un plaidoyer enflammé en faveur du recours (nous y voilà!)... à l'assurance privée. C'est comme un feu roulant, qui se poursuit page après page. «De fait, le nombre de Français ayant souscrit une assurance dépendance augmente chaque année et représente aujourd'hui près de cinq millions de
personnes ayant adhéré par l'intermédiaire d'une mutuelle ou d'une institution de prévoyance (trois millions de personnes) ou de sociétés d'assurances (deux millions), situant notre pays à la deuxième place des pays industrialisés», lit-on ainsi (page 86).

Cette remarque se poursuit par une note en bas de page qui ajoute: «La Fédération française des sociétés d'assurance comptait 2.007.600 assurés versant 387,6 millions d'euros de cotisations (au titre d'un contrat pour lequel la dépendance est la garantie principale) et versait 112,4 millions d'euros de rente en 2008. En 2009, 2.024.200 assurés versaient 403,1 millions d'euros de cotisations tandis que 127,7 millions d'euros de rente étaient servis.»

* Le travail en tandem des frères Sarkozy

Et tout cela débouche (page 87), sur ce qui est le cœur du rapport, et qui pourrait avoir pour titre: A bas la Sécu! Vive le lobby de l'assurance privée!..

On lit en effet ceci: «Les sociétés d'assurance, ayant désormais une vingtaine d'années d'expérience de la gestion du risque dépendance, estiment avoir suffisamment 
défini le risque statistique – deviendront dépendants 15 % d'une génération
atteignant l'âge de 65 ans et 60% d'une génération atteignant 90 ans – pour 
proposer des contrats assurant des rentes mensuelles moyennes de 1.000 euros par
mois pour des cotisations mensuelles s'élevant à 30 euros pour une personne de
soixante ans et à 21 euros pour une personne de quarante ans. 
La mission propose de rendre obligatoire dès cinquante ans la 
souscription d'une assurance des personnes contre la perte d'autonomie
auprès de l'établissement labellisé de leur choix : mutuelle, société de prévoyance
ou société d'assurance.»

Au moins, les choses sont dites sans détour. Ce qui laisse à penser qu'en fait, comme dans le cas de la réforme des retraites, les choix sont déjà faits, avant même qu'une pseudo concertation ne commence. Et le rapport ajoute (page 88): «Les mutuelles, sociétés de prévoyance et sociétés d'assurance devraient 
assurer progressivement la prise en charge de toutes les personnes atteintes par 
une perte d'autonomie quelle qu'ait été la durée de leur assurance, dans la limite
du socle minimal garanti pour le degré de dépendance qui est le leur.
À cette fin, la mission propose que ces institutions constituent et gèrent
un fonds alimenté par un pourcentage prélevé sur chaque cotisation, dont
elles définiront le montant en commun.»

En résumé, le rapport fait donc deux propositions principales: «Rendre obligatoire dès l'âge de cinquante ans, la souscription d'une assurance perte d'autonomie liée à l'âge et assurer son universalité 
progressive par la mutualisation des cotisations et la création d'un fonds de
garantie. Maintenir à titre transitoire une prise en charge publique.»

C'est donc bel et bien une privatisation rampante de la Sécurité sociale qui se prépare. Et cette privatisation, contrairement à ce que l'on pourrait croire, ne concerne pas que ce nouveau risque de la dépendance. Comme un virus, ce transfert vers l'assurance privée risque de se propager dans tout le système: c'est bien ce qu'ont compris les assureurs privés, qui se préparent à un véritable «big bang» de la Sécurité sociale. Et comment ce virus de la privatisation pourrait-il se propager de ce cinquième risque aux quatre précédents? Impossible, pensera-t-on ; l'Elysée peut certes faire le jeu des assureurs pour la dépendance, mais nul ne va pas prendre le risque de dynamiter toute la Sécurité sociale.

Eh bien si! Tout le danger est là:  la dépendance risque d'être le cheval de Troie des assureurs pour entrer dans le système de la couverture sociale, jusque-là dévolue à la Sécurité sociale.

Les frères
Sarkozy <http://www.mediapart.fr/files/media_27/Freres.png> 

Les frères Sarkozy

Pour comprendre le tour de passe-passe, il suffit de décortiquer le projet de joint-venture conclu par la Caisse nationale de prévoyance (CNP, une société contrôlée indirectement par l'Etat) et le groupe financier Malakoff Médéric, qui est spécialisé dans la retraite complémentaire et dont le patron est un certain... Guillaume Sarkozy, le frère du chef de l'Etat (voir nos enquêtes Réforme des retraites: la ronde des frères Sarkozy <http://www.mediapart.fr/journal/france/260609/reforme-des-retraites-la-ronde-des-freres-sarkozy> , Retraite: la joint-venture des frères Sarkozy contre les régimes par répartition <http://www.mediapart.fr/journal/france/121010/retraite-la-joint-venture-des-freres-sarkozy-contre-les-regimes-par-repartitio> ), que la Banque de France vient de bloquer provisoirement (voir notre article Retraite: la Banque de France bloque la joint-venture des frères Sarkozy <http://www.mediapart.fr/journal/france/251110/retraite-la-banque-de-france-bloque-la-joint-venture-des-freres-sarkozy> ). 

Si ce projet est dangereux, c'est en effet qu'il repose sur l'hypothèse que les régimes de retraite par répartition, ceux de la Sécurité sociale, serviront au fil des ans aux retraités des pensions de plus en plus faibles et que cela offrira aux assureurs privés un marché très rentable. C'est dit très nettement dans le document conclu entre les associés pour créer cette joint-venture, révélé par Mediapart, que l'on peut consulter ci-dessous:

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* La fin des «jours heureux»

Dans ce document, il est en effet bien expliqué que le taux de remplacement (le montant de la pension de retraite en pourcentage de ce qu'était le salaire) va de plus en plus décliner: «A l'horizon 2020, selon le rapport du Comité d'orientation des retraites (COR), une baisse du taux de remplacement de l'ordre de 8% est attendue pour une carrière complète. Cette baisse est toutefois variable selon le niveau du salaire et le profil de carrière et dépend fortement des hypothèses prises dans les travaux du COR.» Et les conjurés s'en frottent par avance les mains: «Un complément d'épargne annuel de 40 milliards à 110 milliards d'euros en 2020 serait nécessaire pour maintenir le niveau de vie des futurs retraités.»

Mais si on lit bien ce document, il dit plus que cela... Non seulement les assureurs privés vont pouvoir mettre la main sur le risque de la retraite, mais en fait, s'ils jouent habilement, ils vont aussi pouvoir devenir des acteurs majeurs de tout le système de la protection sociale, en offrant des assurances individuelles ou des systèmes de couverture d'entreprise, qui couvriront en fait tous les risques: celui de la retraite complémentaire mais aussi de la dépendance.

En quelque sorte, les assureurs et les groupes privés de retraite complémentaire ont bien compris, Guillaume Sarkozy le premier, qu'ils vont pouvoir offrir du même coup, dans le cadre de contrats individuels ou de contrats d'entreprise, des “packages” d'assurance privée englobant la dépendance aussi bien que la retraite complémentaire. C'est très bien détaillé dans ce projet CNP-Médéric notamment aux pages 9, 13, 21 et 25.

Les déremboursements de médicaments que le gouvernement accélère depuis 2007 permettent dans le même temps aux mêmes assureurs d'englober dans leurs “packages” des offres portant aussi sur le risque maladie, de moins en moins bien couvert par la Sécurité sociale.

L'hypocrisie de Nicolas Sarkozy est donc totale, puisque un groupe à capitaux publics, la CNP, a conclu avec la bénédiction de l'Elysée un accord avec... son frère, Guillaume Sarkozy, afin de préempter dès à présent le marché alléchant de la retraite et de la dépendance. En quelque sorte, c'est une affaire de famille: Nicolas Sarkozy va ouvrir aux assureurs privés des risques autrefois assurés par la Sécurité sociale; et c'est son frère, avec le renfort de la CNP et donc de l'Etat, qui sera l'un des mieux placés pour ramasser la mise. On en trouve confirmation sur le site Internet de Malakoff Médéric <http://www.malakoffmederic.com/particuliers/prevoyance/solutions-prevoyance-vous/protection-dependance/index.jsp> : Guillaume Sarkozy mise gros sur la dépendance.

De nombreuses associations, qui ont compris le tour de bonneteau qui se prépare, ont donc dit récemment leur indignation. On trouve ici, sur ce site Internet <http://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:pxDZ2MedCdkJ:www.cinquieme-risque.fr/la-reaction-des-associations-suite-a-l%E2%80%99annonce-du-chantier-dependance-par-nicolas-sarkozy/+dependance+sarkozy+assurantiel&cd=1&hl=fr&ct=clnk&gl=fr> , un florilège de leurs réactions, qui expriment une colère commune. A l'instar de l'Association des paralysés de France, toutes ces associations disent leur opposition radicale à un «système assurantiel qui exclurait le public le plus fragile».

Mais à gauche, tout le monde a-t-il bien compris les formidables enjeux de la réforme qui arrive, qui dépasse de très loin la seule question de la dépendance? A lire le même rapport de cette mission sur la dépendance, on peut en douter, car en annexe, on trouve les observations des différents membres de cette mission. Et notamment les observations de la députée socialiste de Charente, Martine Pinville, qui, commentant la proposition visant à instaurer un système d'assurance obligatoire, fait cette mise en garde (page 111):

«Je crois que la question du financement de la prise en charge de la dépendance doit être appréhendée comme relevant du champ de la protection sociale et donc de la solidarité nationale. À cet égard, lors de nos échanges au sein de la mission, nous avions envisagé, en commun, un certain temps, la création d'un socle de solidarité nationale, complété par un dispositif d'assurance. Or, la solution finalement retenue est de ne créer qu'un dispositif d'assurance. Il risque d'aboutir à l'absence d'assurance de la part de certaines personnes. Comment pourra-t-on alors prendre en charge leur situation ? Je crois qu'il est nécessaire d'y réfléchir.»

En clair, la députée socialiste n'exclut pas un système mixte, avec un socle relevant de la Sécurité sociale, «complété par un dispositif d'assurance». Mais peut-être n'engage-t-elle qu'elle-même. Il faut en tout cas le souhaiter.

Car c'est effectivement une réforme gravissime qui se dessine: le dynamitage du pivot central du modèle social français. En quelque sorte la fin des «jours heureux»...

 Par Laurent Mauduit <http://www.mediapart.fr/club/blog/laurent-mauduit> 

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7 décembre 2010 2 07 /12 /décembre /2010 23:27


 Il faut dire que Nicolas Sarkozy  et son gouvernement continuent la désinformation du grand public sur ce qui est un choix de société au sujet de notre protection sociale. Nous propose-t-on un « cinquième risque », une « cinquième branche », une assurance complémentaire en plus ? Difficile de répondre. Après que les handicaps générés par les problématiques liées à « la pénibilité » au travail aient beaucoup alimenté les échanges concernant la réforme des retraites, cela recommence avec le dossier «dépendance » ouvert par le Chef de l'Etat.

 Lors de sa dernière conférence de presse, le Président de la République a déclaré sa volonté de résoudre la «question de la place des personnes âgées dans la société », « la question de la dignité des vieux, d'une population dont la vieillesse augmente, et d'enfants qui sont totalement démunis » face à la dépendance de leurs parents âgés. Il a ainsi annoncé la création à l'automne prochain «d'un nouveau risque, une nouvelle branche de la Sécurité sociale», la dépendance, Celle-ci viendrait s'ajouter aux quatre autres : la maladie, la famille,  les accidents du travail et la retraite.

 Tout cela est très intéressant, sauf que dans les faits « la dépendance » ne concerne pas que les personnes âgées. 85% des personnes en situation de handicap, s'y sont retrouvés après avoir connu le monde des « valides » : elles ne sont pas âgées pour autant. Par ailleurs, 35% des salariés reconnus travailleurs handicapés, l'ont été en cours d'activité.

 Le champ de la « perte d'autonomie » concerne donc bien plus de personnes que les seules personnes âgées. De plus, ce nouveau « chantier » mérite un vrai débat de société sur la protection sociale que nous voulons et ne peut se réduire à un texte voté « à la va-vite » au bout de... 6 mois.

 N'y a-t-il pas urgence, par contre, à appliquer les textes qui existent déjà dans ce domaine ? Comme, par exemple,  l'article 13 de loi du 11 février 2005 (lire ici) qui fait entrer les plus de 60 ans dans le champ de la compensation du handicap : un décret suffirait.

 Vouloir réduire le débat sur « la perte d'autonomie » à celui sur la prise en charge des personnes âgées dépendantes est une mascarade. D'autant plus si l'on intègre le fait que, certes, la population est "vieillissante", mais les personnes sont autonomes de plus en plus longtemps : 86,2% des personnes de 80 ans et plus ont une autonomie fonctionnelle totalement ou partiellement préservée.

 Le réel dessein de nos gouvernants semble plutôt la remise en cause de l'ensemble de notre protection sociale, en commençant par rendre obligatoire une assurance dépendance privée : le reste devant logiquement suivre

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