André : Où en est la réforme du juge d’instruction ?
Jean-Marie Bockel : Un travail très important a eu lieu autour de la garde des sceaux, car c’est toute la procédure pénale qui sera réformée (plusieurs centaines d’articles du code pénal). La concertation s’est engagée depuis plusieurs mois. Cette réforme est inéluctable. Reste à en fixer le calendrier en fonction d’un certain encombrement parlementaire actuel. L’avant-projet de réforme comporte de nombreuses avancées en matière de libertés, d’accès au droit, de collégialité dans les décisions importantes, de renforcement des droits de la défense.
Benoit : Croyez-vous que le parquet est indépendant du pouvoir politique ?
Jean-Marie Bockel : Au quotidien, l’indépendance du parquet se manifeste tous les jours, y compris sur des dossiers sensibles. Tous les pays démocratiques reconnaissent la nécessité de donner au parquet des indications sur la politique pénale du pays. Le système français se caractérise par le mode de désignation des magistrats du parquet. La réforme en cours du Conseil supérieur de la magistrature devrait renforcer encore l’autonomie du parquet. La Cour européenne des droits de l’homme ne nous a pas condamnés, mais des évolutions sont possibles, mais elles supposent une réforme de la Constitution.
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Clovis : Mme Alliot-Marie propose l’instauration d’un numerus clausus chez les avocats. Il est déjà difficile de trouver un avocat pour un bénéficiaire de l’aide juridictionnelle, ne pensez-vous pas qu’une telle mesure risque de porter atteinte au droit d’accès à la justice des plus pauvres ?
Jean-Marie Bockel : Cela pose surtout la question, bien réelle, du financement de l’aide juridictionnelle (près de 300 millions d’euros sur le budget de la justice actuellement). C’est pourquoi nous travaillons actuellement, en concertation avec le barreau, à un complément de financement hors budget (de type assurance) qui permettra notamment une présence plus importante de l’avocat lors des gardes à vue dans le cadre de la réforme du code de procédure pénale. Et sans que cette mesure soit réservée aux plus fortunés.
Benoit : Vous présenterez-vous à la présidentielle de 2012 ?
Jean-Marie Bockel : La Gauche moderne, formation politique à l’aile gauche de la majorité, que je préside, n’a pas vocation aujourd’hui à présenter un candidat à l’élection présidentielle. J’ignore si nous allons vers une primaire au sein de la majorité et quel choix nous ferions dans cette hypothèse.
Je n’ai donc pas vocation aujourd’hui à me présenter à cette élection.
Arthur : Que pensez-vous des projets de candidature de Hervé Morin (Nouveau Centre) pour la présidentielle ?
Jean-Marie Bockel : Je peux comprendre l’intérêt d’une candidature qui permettrait, en recueillant des voix allant du centre droit au centre gauche, d’élargir au premier tour les assises de la majorité. Qui est le mieux à même d’incarner, le cas échéant, cette stratégie ? Hervé Morin est-il en capacité de recueillir des voix au-delà de la droite ? M. Borloo n’aurait-il pas davantage ce profil ? Le critère de succès d’une primaire au sein de la majorité, c’est d’élargir la majorité et non pas de mettre le président de la République, s’il se représente, en difficulté alors qu’il doit être nettement en tête au premier tour pour avoir toutes les chances de l’emporter au deuxième.
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Gilles : Quels sont les dossiers que vous laisse la garde des sceaux, Michèle Alliot-Marie ?
Jean-Marie Bockel : Faute de périmètre précis dans le cadre de mon décret d’attribution, nous sommes convenus que j’assure le suivi de la mise en œuvre de la réforme de la carte judiciaire, ainsi que les questions européennes. Je me suis beaucoup impliqué sur ces dossiers depuis un an en étant très présent sur le terrain. Cela ne m’empêche pas de m’engager également sur les questions pénitentiaires à travers la mise en œuvre de la nouvelle loi pénitentiaire et en lançant de nouveaux concepts comme celui de prison ouverte. J’ai par ailleurs engagé une réflexion très concrète sur la prévention de la délinquance des mineurs et des jeunes majeurs, qui fera l’objet d’assises à l’automne. Je suis par ailleurs très présent sur les questions parlementaires.
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Fred : Quelle est votre position sur le mariage et l’adoption par les couples homosexuels ?
Jean-Marie Bockel : J’ai voté le PACS comme député. Je ne suis personnellement pas favorable au mariage homosexuel, considérant que le PACS, qui est d’ailleurs régulièrement réformé, apporte des réponses suffisantes. S’agissant de l’adoption, je n’ai pas d’opposition de principe à la présence d’enfants adoptés au sein d’un couple homosexuel, mais je suis attaché à l’idée de l’altérité homme-femme, symbolisée par le mariage. C’est, je crois, la position de Sylviane Agacinski, qui a écrit des choses très justes et très mesurées sur ce sujet délicat.
Clovis : Le garde des sceaux a évoqué la création d’une nouvelle juridiction pénale, composée exclusivement de magistrats. Or nombre d’avocats préfèrent déjà passer en assises que devant le tribunal correctionnel… Qu’en pensez-vous ?
Jean-Marie Bockel : Cette réflexion – car il s’agit pour le moment d’une simple réflexion – répond à un vrai sujet : l’encombrement des cours d’assises malgré de très nombreuses correctionnalisations d’affaires criminelles et la lourdeur de la procédure. Nous ne sommes qu’au début de cette réflexion, qui passera forcément, si nous devions poursuivre dans cette direction, par la détermination de critères clairs et acceptables pour définir ce qui, dans ce cas, continuerait à relever de la cour d’assises avec jury populaire telle qu’elle fonctionne aujourd’hui depuis plus de deux siècles en France.
L’ancien avocat que je suis souhaite qu’on se donne réellement le temps de la réflexion sur un sujet qui n’est pas aujourd’hui prioritaire.
Alfred : Pensez-vous que votre idéal social-libéral soit en phase avec la politique sarkozyste?
Jean-Marie Bockel : Pour l’essentiel, oui. D’autant que la crise majeure intervenue en 2008 a amené le président sur des positions très volontaristes sur le plan économique et social, tant au niveau français qu’européen (on l’a vu pendant sa présidence française), voire mondial, avec l’instauration du G20, dont il fut l’initiateur. Aujourd’hui, nous rassemblons à la Gauche moderne des personnes qui avaient voté oui en 2005 et des personnes qui avaient voté non au référendum sur le traité de Lisbonne. Nous nous retrouvons ensemble dans cette démarche volontariste qui transcende les clivages, face à un Parti socialiste qui semble ne pas avoir pris la mesure du monde d’aujourd’hui, à quelques exceptions près.
Cela dit, la Gauche moderne entend bien se différencier de la droite et apporter ainsi sa contribution à la réussite des réformes à travers des propositions originales sur les grandes questions du moment (retraites, fiscalité, etc.).
Alpha : Quel regard votre formation, qui se définit comme sociale-libérale, porterait-elle sur une candidature de Dominique Strauss Kahn en 2012 ? Serait-ce de nature à cliver les positions ou à faire imploser le mouvement ?
Jean-Marie Bockel : Tout d’abord, je crois peu à cette candidature. J’étais en effet proche de DSK en 2002, après l’échec de Jospin, et lui avais à l’époque conseillé de se lancer dans la bataille, d’abord interne au PS, autour des idées sociales-libérales que nous partagions. Il a manqué d’audace à l’époque et on a bien vu comme il a laissé passer sa chance. Ce genre de train ne passe pas deux fois. En ce qui me concerne, je crains que même Dominique Strauss-Kahn, qui n’a pas osé réformer le PS quand il était en capacité de le faire, ne soit prisonnier d’une doctrine politique qui n’est pas la sienne mais qui seule permettrait, dans le contexte actuel, de rassembler son camp. Comment faire campagne présidentielle dans une position qui serait aussi complexe et insincère ? Pour moi, Nicolas Sarkozy, même si la période actuelle est très difficile, aura l’avantage de la clarté dans le projet qu’il proposera aux Français. Voilà mon analyse aujourd’hui.
Max : Dominique Strauss-Kahn pourrait-il mener une politique de gauche blairiste, politique à laquelle vous êtes tant attaché ?
Jean-Marie Bockel. Je n’aime plus le terme « blairiste » car il correspond à une époque aujourd’hui révolue, même s’il constitua en son temps un vrai progrès dans la pensée et dans l’action politiques. Je répondrai à votre question par une autre question : quand j’ai connu Martine Aubry – à l’époque nous étions ensemble dans l’aventure delorienne – jusqu’à il y a une quinzaine d’années, elle était au moins autant sociale-libérale que DSK et moi-même. J’ai le sentiment qu’elle est aujourd’hui très largement dans une posture liée à ses fonctions, d’abord de ministre des trente-cinq heures, auxquelles elle ne croyait pas jadis, puis de première secrétaire d’un Parti socialiste encore très archaïque.
Je pense que DSK serait le cas échéant confronté au même hiatus entre ce qu’il pense et ce qu’on attendrait de lui comme candidat ou comme élu. Cela dit, je dois saluer sa lucidité, et celle aujourd’hui encore de personnalités socialistes comme Michel Rocard, sur le dossier des retraites où il a su se démarquer, à l’instar d’ailleurs de Manuel Valls et de quelques autres trop rares socialistes, de la position incompréhensible et démagogique du Parti socialiste.
Rappelez-vous que Martine Aubry avait fait de même avant d’être obligée de se reprendre pour rester dans la ligne radicale dans laquelle semble s’enliser le Parti socialiste. Le problème de DSK, quels que soient son talent, sa lucidité et son regard sur le monde, que je peux souvent partager même aujourd’hui, est bien là.
Alfred : C’est la raison pour laquelle vous avez rejoint l’UMP ?
Jean-Marie Bockel : Je n’ai jamais rejoint l’UMP, et je ne rejoindrai jamais l’UMP. La Gauche moderne, comme le Nouveau Centre, est une des deux formations de la majorité distinctes de l’UMP et sans double adhésion. Je suis un allié de l’UMP et de la majorité, libre et indépendant, libre de partir si je ne suis plus d’accord. Mon soutien, même s’il est parfois critique, n’en a que plus de valeur. Je suis persuadé que Nicolas Sarkozy, que je soutiendrai en 2012 parce que je crois dans la démarche de réformes justes qu’il a engagée et que je souhaite, avec l’énergie qui est la sienne et avec la vision qu’il a du monde et de notre société, qu’il puisse les poursuivre, qu’il ne pourra l’emporter que si l’aile gauche de la majorité, que mon parti, la Gauche moderne, est seul à structurer politiquement, a pleinement sa place et dans la majorité aujourd’hui, et dans la campagne électorale demain.
Ma position n’est pas toujours facile, que ce soit au sein du gouvernement ou dans la majorité, mais l’allié loyal que je suis a la conviction que nous pourrons, dans les deux années à venir, conforter cette position d’aile gauche, la faire comprendre mieux, tant au sein de la majorité que dans le pays, et constituer, dans la perspective de 2012, un marqueur pour une partie de l’électorat de gauche et de centre gauche, que leurs aspirations – et notamment la justice sociale –, leurs idées, leurs sensibilités, ont davantage leur place dans cette majorité, aux côtés de ce président, qu’au Parti socialiste tel qu’il est encore aujourd’hui. Et je sais de quoi je parle.
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